Fabrice Jordan
Petit circuit et grand circuit céleste, pourquoi sortir des références corporelles ?

Dans l’article précédent, nous avons discuté de ces grandes techniques à partir de leur terreau culturel, et expliqué pourquoi elles ne peuvent en être séparé sans perdre également les clés qui libèrent « L’Efficace » qu’elles contiennent.
J’aimerais continuer en entrant un peu plus dans l’aspect technique en m’excusant d’emblée auprès de ceux qui ne connaissent pas encore les termes qui vont être cités.
Les petits et grands circuits célestes font partie de l’alchimie interne issue du taoïsme. A ce titre, elles sont deux maillons, placés à deux endroits différents d’une grande chaîne de processus dont le but est de permettre à la conscience d’avoir accès au Vide (plein) ou au Ciel Antérieur. Est-ce à dire que cela met le pratiquant en contact avec le Réel ultime ? Je ne crois pas. Mais cela peut aboutir à mettre un humain pratiquant en contact avec l’ultime accessible à un humain. La nuance est de taille et à mon sens, elle est trop rarement soulignée.
Ces deux techniques, donc, s’insèrent dans les quatre étapes connues du processus alchimique :
- Poser les Fondations
- Transformer le Jing (Essence) en Qi
- Transformer le Qi en Shen (Esprit)
- Faire retourner le Shen au Vide ou au Ciel Antérieur
Précisons d’emblée une chose importante : la pensée chinoise est cyclique et ses causalités aussi. D’où provient le Jing originel qui est restauré à l’étape 1 ? Du Ciel Antérieur de l’étape 4. Le processus décrit dans l’alchimie est donc cyclique et n’a rien d’un processus linéaire comme on le voit trop souvent décrit.
Notons aussi une chose importante : durant le processus, nous passons d’une réalité tangible située dans le Ciel Postérieur (le monde manifesté soumis au grand jeu de la dualité) au Ciel Antérieur (le monde non encore existant et toti-potentiel). Le processus n’a donc rien de banal : il implique un saut qualitatif radical qui est le passage du Ciel Postérieur au Ciel Antérieur. Rien que ça !
Le pratiquant va donc avoir à faire face à un problème de taille : les règles ayant cours dans le Ciel Antérieur sont radicalement différentes de celles du Ciel Postérieur. Or, toutes les techniques corporelles font partie du Ciel Postérieur. Comment pourraient-elles avoir accès à un niveau de réalité qui n’applique pas du tout les mêmes règles ? Nous allons voir que cela implique un changement, radical lui aussi, de la manière d’envisager ces techniques.
Résumons ce que nous voyons le plus souvent dans les cours contemporains, dans les livres, et même dans la plupart des Classiques. C’est assez simple, nous n’avons accès qu’aux techniques du Ciel Postérieur et ceci d’autant plus qu’elles sont passées par le filtre de la médecine traditionnelle chinoise. En effet, alors que l’alchimie originelle est assez peu précise, de manière tout à fait volontaire, en ce qui concerne les localisations corporelles, les grands et petits circuits passés au filtre de la MTC deviennent soudain extrêmement précis, nommant des points qui sont souvent empruntés à la tradition acupuncturale.
C’est ainsi qu’on retrouve des articles décrivant chaque point de la petite orbite céleste comme si cela faisait partie de la tradition alchimique. Il n’en n’est rien. Il s’agit d’une invention moderne. Avons-nous quelque chose contre la modernité ? Pas du tout, au contraire même. Sauf que cette modernité là correspond à la physique newtonienne dans le monde de la physique : utile à un certain niveau, mais totalement inapte à décrire le fond du réel, qui correspond au Ciel Antérieur.
Alors, s’il faut de la modernité, pas de problème, mais il faut aller au bout de cette modernité en incluant les visions radicalement différentes du quantique versus mécanique classique. S’arrêter avant cela n’est vraiment pas une bonne idée, dans la mesure où envisager de telles techniques sous l’angle unique d’une mécanique corporelle, aussi sophistiquée soit-elle, entrave le processus alchimique à un moment donné. C’est donc tout à fait contre-productif à moyen et long terme. Alors disons-le clairement : cette manière de pratiquer améliorera peut-être votre santé dans une certaine mesure, mais elle ne constituera jamais une alchimie.
Poursuivons. La plupart des techniques présentées dans les cours contemporains ou les livres font partie des techniques dites du Ciel Postérieur et travaillent uniquement sur la première partie de l’alchimie qui s’appelle «Poser les Fondations». Elles ne sont pas fausses en elles-mêmes, mais il faut savoir, en tant que pratiquant, qu’envisagées sous leur forme corporelle uniquement elles font partie des techniques de base. Rien de moins, mais rien de plus non plus. Il s’agit de techniques indispensables, mais pas de techniques avancées du tout, au contraire.
On retrouve néanmoins le grand circuit céleste dans les étapes ultérieures de l’alchimie. Mais dans ce cas, il ne s’appelle plus le Grand Circuit. Il change de nom. Pas pour le cacher ou pour le rendre mystérieux. Non, simplement parce qu’il recouvre alors une autre réalité de pratique.
Pourquoi ? Parce que pour passer du Ciel Postérieur au Ciel Antérieur il est obligatoire de sortir d’une réalité locale. Or le corporel est local. Il y a donc une petite orbite et une grande orbite céleste « locale », corporelle, au début. C’est normal, vu que nous naviguons alors dans le Ciel Postérieur.
Mais il y a plus tard une petite orbite céleste et une grande orbite céleste qui sont moins locales voire totalement non locales. Avec quelle réalité doivent-elles être compatibles et en résonance ? Eh bien avec le Ciel Antérieur. Elles doivent donc être compatible avec plusieurs éléments : d’abord, la non-localité. Ensuite, la notion de « vide ». Dans ce cas, elles ne peuvent bien entendu plus être basées sur un circuit de type mécanique qui aurait un référentiel tangible.
Comment les aborder alors ? Il n’est bien sûr pas possible de les enseigner sur un réseau social. Mais on peut en évoquer les principes généraux.
Pour le petit circuit céleste : celui-ci est abordé sous l’angle d’un circuit mais qui ne se joue plus dans la corporalité du pratiquant. Celui-ci se joue entre le pratiquant et son âme ou Hun. Ce petit circuit là, qui intervient plus tard dans la pratique, est appelé « petit » car il oscille encore dans le Ciel Postérieur, mais entre une polarité « dure » de ce Ciel Postérieur (la corporalité du pratiquant) et une polarité « floue », son âme, son Hun. Mais cette âme, si elle est plus intangible, fait toujours partie du Ciel Postérieur, bien qu’elle tende, dans son essence même, à rejoindre le Ciel Antérieur.
Pour le grand circuit céleste : celui-ci reste aussi un « circuit », si on le veut, mais parce c’est un circuit non local qui relie le Ciel Postérieur au Ciel Antérieur. Pour parler de manière moins générale, le grand circuit non local relie le pratiquant à son Yuan Shen qui lui-même se situe à la limite du Ciel Antérieur et en représente la porte spécifique pour la personne en question. Evidemment, dans un tel « circuit », toute référence corporelle n’a aucun sens. Il s’agit d’une expérience de conscience et à un certain moment, d’une non-expérience.
Comme on le voit, les notions de petit et grand circuit célestes recouvrent des réalités bien différentes en fonction des niveaux de pratique. Cela est normal et constitue le cœur même d’une tradition alchimique. Mais les niveaux profonds ne se trouvent pas décrits dans les textes modernes ni quasiment aucun Classique.
Tous les enseignements que j’ai reçus à ce sujet font partie d’un enseignement oral qu’il faut d’ailleurs souvent s’approprier et reconstituer car il n’est pas toujours donné sous une forme directement structurée ou intelligible. Il se fait d’ailleurs le plus souvent entre « quatre oreilles » comme le dit la tradition. Le maître et l’élève enfermés dans une pièce fermée à clé, et les instructions susurrées à l’oreille, une seule fois.
J’espère que ces quelques réflexions aideront certains d’entre vous à envisager leur pratique sous un angle nouveau, ouvert, et différent.